Mortelle innocence

—Laisse cette mouche tranquille, pour le peu qui lui reste à vivre…

—Une mouche ça vit combien maman ?

 

—Quelques heures.

—Ah ! bon ?

 

Curieux, l’enfant voulu en savoir plus et chercha sur le Web. Il apprit que les mouches sont des insectes qui vivent deux semaines, quelques jours de plus pour les plus chanceuses. Elles mangent comme les humains mais sous forme de liquide ou attendent que les aliments soient pourris pour en saisir le suc.

Lorsque l’entomologiste en herbe en sut assez, il leva à nouveau ses yeux, sur la mouche toujours collée à la fenêtre. Sans trop savoir pourquoi, il se sentit soudain solidaire de son funeste destin.

 

« Je dois absolument faire quelque chose », se dit-il.

L’idée lui vint d’adoucir ses derniers moments en lui offrant le gîte et le couvert. Il la captura, l’enferma dans un bocal et lui offrit un festin : quelques gouttes de sirop d’érable, de miel liquide, de grenadine. Que pouvait-il faire de plus… « Mais oui, de la compagnie ! »,se dit-il en croisant de son regard une belle araignée colorée qui gravissait silencieusement la paroi. Il n’en avait jamais vu de si belle. Ni une, ni deux, à l’aide d’une feuille de papier, il la saisit, souleva le léger tissu qu’il avait posé sur le bocal et la glissa délicatement à l’intérieur.

 

—Voilà de la compagnie pour tes dernières heures la mouche.

Puis, il plaça le récipient sur sa table de nuit et couché dans son lit il ne le quitta plus des yeux. La mouche n’avait encore ni goûté au festin ni ne s’était approchée de l’araignée lorsque l’enfant laissa tomber ses paupières de fatigue pour glisser dans le sommeil. L’enfant ignorait que les insectes étaient le repas favori des araignées ; qu’elles travaillaient comme des forcenées pour piéger leurs proies, en tissant des fils de soie. Tandis qu’il dormait à poing fermé, dans le bocal, l’araignée, impassible, attendait, observant la mouche pondre ses œufs. Aussitôt fait, l ’araignée la dévora avec délectation. Maintenant, elle disposait d’un garde-manger de petits moucherons qui ne tarderaient pas à éclore.

En attendant son prochain festin, l’araignée, reconnaissante, décida de rendre une petite visite à l’enfant pour le remercier. Elle souleva juste ce qu’il fallait le léger tissu du bocal, s’assura qu’il reste bien couvert et, descendant la table de nuit, elles ’aventura sur le lit du jeune dormeur.

 

Elle longea allègrement son bras.Elle découvrit une peau humaine pour la première fois. C’était bien plus agréable que la rugosité des murs. Elle était tellement heureuse et reconnaissante. Arrivée sur le menton elle trouva le visage joufflu de ce bambin providentiel. Chatouillé par les pattes de velours, l’enfant se réveilla et se frotta le menton. Dans cet inopiné mouvement, la visiteuse eut juste le temps de s’accrocher à la main. L’enfant la voyant, laissa échapper un cri d’horreur de sa bouche. L’araignée en perdit l’équilibre et tomba dans le gouffre béant qui se referma sur elle. Affolée, elle injecta, avant d’être avalée, son venin dans les muqueuses de l’enfant. L’effet fut immédiat. La gorge gonfla, l’enfant étouffa, se débattit et finit par mourir dans un dernier souffle.

Danielle Cudré-Mauroux