Alors que je m’extasiai devant le nu le plus obscène de l’exposition, Valentine, le modèle de l’artiste le plus en vogue, s’approcha de moi. Sans doute un peu embarrassée, elle me demanda timidement mon avis. Je la complimentai sur son physique et lui fis savoir que j’étais un expert, sans préciser que ce n’était pas en tableau.
Je sus immédiatement qu’elle serait ma prochaine femme d’exception, celle qui manquait à mon tableau de chasse. À la fin de la soirée de vernissage, je lui glissai ma carte avec mon numéro de téléphone. Intriguée et attirée par mon irrésistible charme de beau ténébreux, elle m’appela le lendemain.
Dès notre premier rendez-vous, je n’eus d’autres priorités que de combler cette femme. Je passai le plus de temps possible avec elle, à l’admirer, à la caresser et à la couvrir de baisers, retardant chaque jour qui passait, le moment sublime dont je projetais déjà le film dans ma tête et dans mes tripes.Ses yeux de porcelaine prédisaient qu’elle resterait ma plus belle conquête et que cela valait la peine de lui sortir le grand jeu, de l’emmener en voyage, de la couvrir de cadeaux, avant le bouquet final. À ce propos, je décidai de lui envoyer un gigantesque bouquet de roses rouge écarlate, accompagné d’un billet doux où je lui déclarai ma flamme en vers. Aussitôt, elle m’envoya un message m’invitant sur une terrasse au bord du lac. Je n’étais nullement étonné de son empressement à me revoir.
C’était une de ces premières belles journées de printemps où la sève monte et force le désir. Je fis en sorte d’arriver avant elle au rendez-vous pour la regarder venir à moi. Son pas léger soulevait sa belle crinière blonde, faisait pointer ses seins sous sa robe légère et je sentais monter en moi l’excitation infernale. Je ne pouvais plus attendre, plus la faire attendre, retarder encore le moment qui ferait d’elle la femme la plus sublimée aurait été cruel.
Un homme allait me distraire en s’approchant de moi.
—Qu’est-ce que vous voulez ? lui demandais-je sèchement.
—Vous n’auriez pas du feu ?
Quel con, dis-je tout bas. Malgré tout, je haussai les épaules et m’exécutai tout en montrant mon exaspération.Il s’en excusa, d’accord. Pourtant, quelque chose me disait qu’il n’était pas là pour fumer une clope. Ensuite, un rustre me menotta et deux costaux m’embarquèrent sans que je puisse rassurer ma belle, lui dire que ce ne pouvait être qu’une méprise et lui proposer un autre rendez-vous.
Au poste de police, les brutes me mirent sous les yeux une photo de femme, puis une autre en me disant chaque fois :
—Est-ce que vous connaissez cette femme ?
Comment voulaient-ils que je me souvienne de toutes les femmes que j’avais croisées. Alors ils m’enfermèrent dans une cellule.
Puis vinrent les accusations. De quoi pouvait-on m’accuser, sinon que d’être un artiste ?
Il devenait évident qu’ils avaient fouillé mon atelier. Lors de l’interrogatoire suivant, je tentai, une fois de plus, d’expliquer que j’étais un artiste, que mes réalisations avaient du sens, qu’elles étaient un travail minutieux et de longue haleine. La preuve et qu’il leur fallut du temps pour démontrer et comprendre la complexité et la perfection de mon travail.
Pendant qu’ils attendaient les rapports d’expertises, moi, je croupissais au fond d’une cellule humide. J’attendais mon procès. Que pouvais-je faire d’autre ? Ils ont pris des photos des corps de mes maîtresses, auxquelles j’avais prélevé les parties intimes pour les exposer dans des bocaux. Une œuvre sans précédent qui fut largement commentée et médiatisée.
Ma fierté dans cette histoire est que les psychiatres, à l’unanimité, ont reconnu que j’avais un quotient intellectuel bien au-dessus de la moyenne. Ils ont admis que la jouissance que me procuraient mes réalisations allait bien au-delà d’un banal orgasme.
Le procès arriva et la condamnation fut à la hauteur de mon chef-d’œuvre.
À la sortie du tribunal, ébloui par les flashs des photographes, j’aperçus Valentine qui cherchait désespérément à se frayer un chemin vers moi. Je demandai aux deux policiers qui m’escortaient, de m’accorder un instant pour parler à mon amie, l’approcher, sentir son parfum et la douceur de sa peau.
Pas de réponse.
Miracle !
L’espace d’un instant je croisai son regard. J’y vis de l’étonnement mais aussi de l’admiration, même si, probablement pour donner le change, elle hurla que je n’étais qu’un ignoble assassin. Alors, je me débattis, je criai à nouveau à plein poumons : Valentine ! Valentine ! On me poussa, on me jeta sans ménagement dans le fourgon, direction prison où je finis mes jours.
Je n’attends plus aucune reconnaissance sur cette terre et je me console au fond de ma prison, en me disant que les plus grands artistes ne sont reconnus qu’après leur mort.