Cette nouvelle est la première d’une série de vingt histoires incroyables d’ici et d’ailleurs – en cours d’écriture. J’espère trouver un éditeur pour 2022-2023.
Le César, enivré par ses pouvoirs, vit une adolescence dévergondée en multipliant ses frasques. Des soirées animées par des toges qui se soulèvent, des culottes qui volent. Pas seulement, le gamin est espiègle et pas qu’un peu.Au cours d’un banquet, les convives sont stupéfaits de se voir recracher des diamants de leur nourriture qu’ils s’empressent de mettre dans leurs poches. L’empereur a gardé le clou de la soirée pour la fin. Tous les regards se tournent vers le plafond quand il ordonne de faire basculer le toit réversible de la salle de banquet. Des tonnes de fleurs se déversent sur les invités. Au milieu des gros rires de l’ado, la plupart des invités sont incapables d’émerger de ce flot végétal et meurent d’étouffement.
La mère et la grand-mère du jeune empereur censées guider cet électron libre ne savent plus à quoi ou à qui se vouer. Mission impossible ! Elles vont aller jusqu’à égorger des nouveau-nés pour les offrir à son dieu, El Gabal, symbolisé par une pierre noire tombée du ciel.
Finalement le jeune César va décider de se rendre à Rome, sa capitale, en emportant son précieux caillou pour l’imposer comme dieu aux romains.
Pendant des jours et des jours, il chemine vers la Rome impériale. Il conduit un fabuleux attelage de 6 chevaux blancs constellés d’or, tirant un char d’ivoire, serti de diamants, sur lequel est placé son dieu. Il voyage à reculons, car il serait irrespectueux que les chevaux montrent leurs culs à la divinité, offrant ainsi aux populations traversées, un spectacle pour le moins étonnant.
Le monarque est très beau dans sa toge violette et ses sandales rouges, ornées de pierres précieuses. Son visage d’adolescent ne laisse aucunement supposer sa cruauté, ses pulsions violentes et ses colères sanguinaires.
Un jour il s’adresse, emphatique à la pierre
– Oh El Gabal, je mettrai tous les dieux duPanthéon, et même le grand Jupiter, à tes pieds. À peine ces paroles prononcées,le ciel s’assombrit. Des éclairs transpercent les nuages et la foudre s’abat dans un grondement sourd sur la pierre sacrée. Aussitôt, elle se transforme en une boule de f eu, d’un rouge flamboyant. Le jeune empereur comprend qu’il a provoqué la colère de Jupiter.
Il appelle immédiatement ses augures et ordonne :
– Interrogez les viscères d’un bœuf et dites-moi ce qui se passe.
Le résultat rassurant de l’examen calme l’empereur, au grand soulagement des prêtes qui, dans le cas contraire auraient eu de quoi craindre pour leur vie.
Le lendemain, le convoi croise un vieil homme aux pas lents qui soulèvent un nuage de poussière. Il est vêtu d’oripeaux sur lesquels se balance une grande croix en bois. Il paraît harassé.
– Amenez-moi ce misérable, somme Héliogabale.
Le miséreux est un pèlerin chrétien qui se rend à Rome sur la tombe de Saint Pierre. Il explique que le dieu des chrétiens, pour être plus près d’eux, a envoyé son fils sur terre en fécondant une vierge qui s’appelle Marie. C’est la raison de son voyage.
Cette déclaration est une révélation pour Héliogabale.« Mais oui, c’est ce qu’il faut à mon Dieu : un fils ! ».Pour cela je dois épouser une vierge, mais pas n’importe laquelle, une vestale.
Cette nuit-là, la déesse Vesta fait un songe.Elle voit Héliogabale éteindre d’un grand souffle le feu sacré qui lui est dédié. Elle comprend que c’est un présage qui annonce un grand malheur pour l’empire. Elle envoie Julia, sa plus jeune vestale, prévenir le Grand prêtre, chargé de surveiller les pratiques religieuses.
A l’été de l’an 219, Héliogabale arrive enfin àRome. Il se dirige en grande pompe, vers le Palatin, l’une des 7 collines de la ville, où il a fait ériger un temple pour son dieu. La foule est en liesse. Elle manifeste sa joie par de grands cris, lance des fleurs coupées et des guirlandes multicolores sur son passage.
Sitôt la pierre installée dans son temple, Héliogabale convoque le Grand prêtre et le Sénat pour leur faire part de son projet de se marier et de concevoir un enfant divin. Héliogabale jette son dévolu sur Julia, la plus belle vestale du temple. Le Grand prêtre, le Sénat et tout le peuple sont scandalisés. Les vestales doivent rester vierges. Comment empêcher ce sacrilège ? Le Grand prêtre interroge les auspices. De son bâton recourbé, il trace une ligne fictive dans le ciel et observe silencieusement le vol des oiseaux. C’est bien ce qu’il craignait, les volatiles passent à gauche de la ligne. Cela annonce le pire.
Cependant, ni lui, ni le sénat n’osent s’opposer à Héliogabale si bien que le grand jour arrive. Les noces sont fastueuses. Elles se déroulent au Panthéon, temple dédié à tous les dieux romains.
Une fois les anneaux de mariage échangés, le rituel de la fécondation débute. L’édifice circulaire, est surmonté d’une vaste coupole percée en son centre d’une ouverture. Héliogabale l’a fait recouvrir d’une plaque d’or au milieu de laquelle il a inséré sa pierre noire. Sous la pierre, à la verticale, se dresse un autel de porphyre, sur lequel est placé un calice d’or, rempli d’hydromel, décoré de pierres précieuses, destiné à recevoir le rayon de vie de son dieu. L’empereur et la vestale sont placés de chaque côté de l’autel. Lui, dans sa tenue d’apparat. Elle, vêtue d’une tunique blanche, maintenue, selon la tradition, par une ceinture de laine à double nœud. Sa chevelure est emprisonnée dans une résille rouge, sur laquelle est posée une couronne de marjolaine et de verveine tressées. Les sénateurs dans leur toge blanche bordée de rouge, sont assis en cercle sur le pourtour du temple. À l’extérieur, le peuple attend anxieusement l’annonce de la conception, espérant toujours un miracle pour arrêter le sacrilège.
Dans sa robe pourpre, le maître des cérémonies s’avance lentement vers les époux. Il attend midi, que le soleil soit au zénith et qu’un rayon de lumière traverse la pierre noire et pénètre le calice.
Lorsque cela se produit, il déclare alors solennellement à l’assemblée :
– Le soleil d’El Gabal, a fécondé le vin.
Puis il présente la coupe à Héliogabale et lui dit :
– Ceci est la semence de ton dieu que tu dois partager avec ton épouse. C’est à toi, auguste empereur, que revient l’honneur de la première gorgée.
L’empereur saisit la coupe et en boit une longue rasade, puis la tend à Julia et ordonne :
– Bois et sois fécondée par El Gabal.
Julia saisit la coupe entre ses mains tremblantes, effrayée à la pensée de s’unir à la divinité.
– Bois, bois répète Héliogabale d’une voix de plus en plus pressante.
Tandis que la vestale reste immobile, le calice entre ses mains, le visage d’Heliogabale se crispe. Il se plie en deux, se tient le ventre, puis s’écroule sur le sol de marbre, dans de terribles convulsions, terrassé par le poison.
Le Grand prêtre arrache la coupe des mains deJulia et la jette à terre avec rage. Elle s’écrase dans un grand fracas, répandant sur le sol son contenu mortel. Il s’exclame :
– Ainsi s’exprime la volonté du sénat et du peuple romain.
Dehors la foule explose de joie, tandis qu’un lourd silence règne dans l’édifice. Le grand prêtre pointe du doigt le cadavre de l’empereur et s’écrie :
– Que les traces de ton existence disparaissent de la surface de la terre et que ta mémoire s’efface de l’esprit des hommes !
Ainsi mourut celui qui s’était cru tout permis, même d’outrager les dieux.