Le diamant bleu de Madame Bellancourt

— Ciel mon diamant !

 

La voix stridente de Madame de Bellancourt, surnommée la Castafiore, résonne dans toute la maison.

 

Voilà qu’elle a encore égaré son joujou, bougonne sa fidèle gouvernante en arrivant ventre à terre avec deux flacons de sels homéopathiques.

 

—Irma, Irma, le diamant bleu a disparu.

 

— Il est sans doute dans le coffre, Madame.

 

— Disparu… je vous dis, dis-pa-ruuuu…

 

Irma lui fait respirer les sels et tente de la raisonner.

 

— Il n’y a pas de pies ici, euh… je veux dire de voleurs, on va le retrouver. Madame, calmez-vous ce n’est pas bon pour votre cœur.

 

Irma ordonne à la femme de chambre de retourner la maison de fond en comble pour trouver le précieux objet.

 

En vain !

 

Le diamant n’est plus.

 

— Irma ! Qui a pu voler mon plus beau joyau ?Celui que feu mon mari m’a offert pour nos fiançailles. Le pauvre, il doit se retourner dans sa tombe et, mon plus grand malheur, serait qu’il ressuscite !

 

— J’appelle la police, Madame.

 

— Non, Appelez mes amis, les détectives Dupond et Dupont. Il n’y a pas eu d’effraction, Mirabelle n’a pas aboyé, a…a… alors, le voleur ne peut que faire partie de cette maison.

 

— Si vous le dites Madame.

 

Dans l’heure qui suit, Madame de Bellancourt, plus frisottée que jamais, vêtue d’une robe très chic et de son collier de perles, reçoit les célèbres détectives dans le salon de sa prestigieuse demeure.

 

Curieuse, un brin inquiète, Irma écoute derrière la porte.

 

— Mes chers amis Dupond, Dupont, quel malheur ! on a volé mon diamant bleu qui vaut plus de trois millions de francs.

 

— Je dirai même plus… chère Madame, quel malheur, un diamant qui vaut plus de trois millions, rajoute Dupont. Avez-vous des soupçons ? Votre personnel… la…gouvernante.

 

— Vous savez, de nos jours…. A qui peut-on se fier ?

 

— Votre amant, le Marquis de Castel Fleuri, était-il à vos côtés cette nuit ?

 

— Non !  Lui, on peut l’écarter, il ne s’intéresse qu’au liquide. Par contre Irma, ma gouvernante, regarde mes bijoux avec envie, je dirais même avec gourmandise. Je me méfie de cette femme trop honnête pour l’être.

 

La vache ! lâche Irma à voix haute, l’oreille collée à la porte. Pff ! son marquis d’amant fauché comme les blés pourrait bien s’être transformé en alchimiste Au fait, il a passé où celui-là ? Ha ! Ha ! Peut-être en train de faire le joli cœur à sa maîtresse.

 

— Madame, se lance Dupond… on va interroger votre personnel. Ensuite…

 

— Faites, faites… je suis certaine que vous allez très vite élucider l’affaire et revenir avec le diamant bleu.

 

— Comme vous le savez Madame, nous n’avons jamais laissé filer un voleur. On se met au travail. On vous retrouve ici en fin d’après-midi, avec le diamant, cela va sans dire.

 

Irma est la seule personne qui dort dans la maison.Quant aux autres : le chauffeur, la secrétaire particulière, les femmes de ménage, le jardinier, tous rentrent chez eux ou dorment dans l’annexe.

 

La gouvernante aurait pu voler le diamant mais les Dupond, Dupont écartent  immédiatement cette hypothèse. Impossible pour elle de le revendre. Il faut des relationspour écouler un tel caillou.

 

Le marquis, leur annonce à peine gêné, qu’il vient de rentrer. Il a passé la soirée et la nuit avec Sophie, sa jeune maîtresse. Le concierge de la maison où habite la belle, confirmera ses dires.

 

Le chauffeur leur donne une information intéressante.À 21h30, il a reçu un appel de sa patronne pour raccompagner sa fille chez elle. Arrivé dans le hall, les éclats de voix des deux femmes lui sont parvenus aux oreilles. Il a entendu sa fille lui reprocher, une fois de plus à sa mère, sa relation avec le marquis. Elle lui a répété plusieurs fois qu’il n’en voulait qu’à son argent. Le chauffeur assure que les deux femmes se sont quittées très fâchées.

 

À ce stade de l’enquête, les Dupond-Dupont  se prennent la tête entre leurs mains : Après ce que vient de leur confier le chauffeur, ils ont toutes les raisons de suspecter la fille d’avoir pris le diamant comme avance sur son héritage.

 

Les heures passent. Il est temps pour les détectives de retourner

chez Madame de Bellancourt. Mais comment l’aborder, sans le diamant bleu ?

 

Soudain, les deux Dupond-t, se regardent avec connivence.

 

Comment n’y ont-ils pas pensé plus tôt ?

 

Mais oui, le cours de l’action de la société Boréal a terriblement chuté ces derniers mois et avec, la situation financière de Madame de Bellancourt. Pour se renflouer, elle pourrait avoir enterré le diamant, pour ensuite déclarer le vol à l’assurance. L’argent lui permettrait non seulement de se refaire mais de retrouver les faveurs de son amant qui semble la délaisser depuis qu’il a une nouvelle maîtresse.

 

Les Dupond-t se rendent à leur rendez-vous. Madame Bellancourt les reçoit dans son salon. À ses pieds, la petite Yorkshire, en petite pimbêche décorée d’un ruban rose sur sa tête, ne daigne même pas leur lancer un regard.

 

— Alors chers amis… mon diamant ?

 

— Votre diamant… Euh !…je dirais même plus…euh ! votre diamant.

 

— Ne me dites pas que vous ne l’avez pas retrouvé.Auriez-vous perdu votre flair légendaire ?

 

Les Dupond-t, mal à l’aise, ne savent pas comment exposer leurs soupçons. Comment lui dire qu’ils suspectent sa fille. Comment lui dire qu’ils pensent éventuellement à une arnaque à l’assurance de sa part, parce que c’est bien de cela qu’il s’agit. C’est plus que délicat !

 

— Eh  bien ! chère Madame…  ma très chère Madame Bellancourt… en fait, nous avons plusieurs pistes.

 

Madame Bellancourt leur lance un regard courroucé.Elle se lève, s’avance vers Dupond en levant les bras.

 

— Ciel mon diamant !  incapable que vous êtes !

 

— Madame, dit-il en s’approchant d’elle et en posant délicatement sa main sur son bras. C’est un peu délicat ce que nous avons à vous dire.

 

— Oui, je dirai même plus…

 

A ce moment précis, Mirabelle se précipite sur Dupond, croyant devoir protéger sa maîtresse. Elle tire hargneusement sur son pantalon, s’agite à en faire tomber son ruban rose entre ses deux oreilles, s’époumone en jappements. Dupond, agacé, la repousse d’un coup de pied discret. S’ensuit une impressionnante quinte de toux et de vomissements de la bête.

 

Madame Bellancourt est indignée.

 

Dupond baisse la tête, cherchant désespérément le moyen de s’en sortir. Il est dans de sales draps.

— Comment pouvez-vous traiter ainsi une pauvre bête? s’indigne la dame.

 

Madame de Bellancourt de sa voix stridente, demande à Irma d’ apporter ses sels homéopathiques pour Mirabelle.

Soudain, Dupond, jusque-là emprunté, est ébahi par ce qu’il voit.

Il n’en croit pas ses yeux.

— Ciel ! votre bijou Madame. Regardez !

Le fameux diamant bleu scintille au milieu du vomi de la chienne sur le précieux tapis de soie.

Danielle Cudré-Mauroux

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